DPE : un outil en crise, un risque pour le logement, un défi pour la transition

Devenu central dans la régulation du marché immobilier, le DPE était censé guider les Français vers des logements plus sobres. Mais derrière l’apparente rigueur de cet indicateur se cachent des biais méthodologiques, des effets contre-productifs et une fracture sociale grandissante. Dans cet article complet, je propose une lecture documentée et critique de cet outil, sans posture idéologique, mais avec une exigence de vérité et d'efficacité.

 
Illustration symbolique du DPE en Haute-Savoie
 

I. Le DPE : principe, évolution et intentions

Le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) a été instauré en 2006, en application de la directive européenne 2002/91/CE. À l’origine, il s’agissait d’un outil informatif, destiné à sensibiliser les acheteurs et locataires à la consommation énergétique d’un logement. L’objectif était de permettre à chacun d’évaluer la performance énergétique d’un bien, au même titre que sa superficie ou son exposition. Depuis 2011, son affichage est également obligatoire dans toutes les annonces immobilières.

À cette époque, le DPE était un outil de conseil sans conséquence juridique : il ne pouvait être contesté ni par le vendeur, ni par le bailleur, ni par le diagnostiqueur. Il s’agissait d’un indicateur, non d’un instrument de contrôle.

 

Une réforme de 2021 : introduction de l’opposabilité

La réforme du 1er juillet 2021 a profondément modifié la nature du DPE : il est devenu juridiquement opposable. Un acquéreur ou un locataire peut désormais contester un diagnostic erroné devant les tribunaux, engageant la responsabilité du professionnel ou du propriétaire.

Dans le même temps, la loi Climat et Résilience a introduit une interdiction progressive de location pour les logements les plus énergivores :

  • depuis le 1er janvier 2025 pour les logements classés G,

  • à partir de 2028 pour les logements classés F,

  • puis dès 2034 pour les logements classés E.

Ces interdictions s’accompagnent d’un encadrement plus strict des loyers, d’un accès limité aux dispositifs fiscaux et d’une surveillance accrue sur les conditions de vente.

 

Méthode 3CL : un calcul standardisé, mais contesté

Depuis 2021, le DPE repose exclusivement sur la méthode dite 3CL (Calcul des Consommations Conventionnelles des Logements). Cette méthode s’appuie sur des données techniques (matériaux, surface, système de chauffage…), mais également sur des hypothèses standardisées : température intérieure fixe, occupation théorique, usage conventionnel des équipements.

Ce modèle vise à uniformiser les diagnostics à l’échelle nationale. Mais cette standardisation engendre une déconnexion croissante avec la réalité du terrain. Deux logements identiques sur le papier peuvent être utilisés de manière radicalement différente selon les occupants, l’exposition ou la fréquence d’occupation, sans que cela n’impacte leur note. Aucune adaptation n’est prévue selon le climat local, les usages réels ou le comportement des habitants.

Le Conseil d’analyse économique a ainsi démontré que l’écart entre les consommations affichées par le DPE et les consommations réelles pouvait atteindre plusieurs centaines de pourcents dans les logements mal classés.

(Sources : service-public.fr ; loi Climat et Résilience, août 2021 / Conseil d’analyse économique, Focus n°105, juin 2024)
 

 

II. Un diagnostic techniquement contesté

Le DPE prétend objectiver la performance énergétique d’un bien. Mais ses fondements techniques sont largement remis en cause.

 

Pénalisation de l’électricité décarbonée

Le coefficient de conversion de l’électricité utilisé dans le DPE est de 2.3, contre 1 pour le gaz ou le fioul. Ce choix affecte particulièrement les logements chauffés à l’électricité, pourtant massivement décarbonée grâce au parc nucléaire français. Il en résulte une notation souvent inférieure pour des logements sobres émettant peu de CO₂, alors qu’un logement au gaz, plus polluant, reçoit une meilleure évaluation. Ce paradoxe a été reconnu par le ministère de la Transition écologique, qui a étudié en 2024 une correction partielle du coefficient pour les petites surfaces.

 

Incohérence sur le confort d’été

Le DPE ne valorise pas les performances passives. Pourtant, certains logements anciens — construits en pierre ou en pisé (terre crue compactée) — bénéficient d’une inertie thermique capable de maintenir une fraîcheur naturelle. Une étude d’IGNES en 2023 indique que plus de 30 % des logements classés A ou B peinent en réalité à assurer un confort d’été adéquat, malgré leur performance théorique.

 

Zones climatiques trop simplifiées

La France présente une diversité climatique importante : océanique à l’Ouest, continental à l’Est, montagnard dans les Alpes, méditerranéen au Sud. Or le DPE repose sur un découpage en seulement trois zones climatiques (H1, H2, H3), avec quelques ajustements pour l’altitude. Ces régions sont trop larges pour prendre en compte les microclimats, l’exposition solaire ou la typologie urbaine, et ne s’appliquent qu’aux classes E à G, limitant leur efficacité.

Dans le Genevois français, cette simplification est particulièrement problématique : les variations d’altitude, de densité urbaine et d’exposition entre Annemasse, Reignier-Ésery, Saint-Genis-Pouilly ou les hauteurs du Salève sont très marquées, mais ignorées dans le calcul. De nombreux logements situés dans des zones naturellement fraîches ou bien orientées sont mal notés, tandis que d’autres, sujets à la surchauffe estivale malgré une bonne isolation théorique, obtiennent de bons classements. Ce décalage nuit à la lisibilité du DPE pour les habitants de Haute-Savoie ou de l’Ain.

 

Uniformité inadaptée aux bâtiments anciens

Le DPE applique les mêmes critères à tous les biens, sans distinction d’époque ou de patrimoine. Résultat : les logements anciens sont souvent classés E, F ou G, malgré des performances adaptées. Les recommandations techniques deviennent parfois contre-productives, comme le conseil d’isoler par l’intérieur des murs en pierre, d’ajouter une VMC inadaptée ou de remplacer des menuiseries anciennes efficaces. Ce biais est d’autant plus problématique dans les territoires au bâti traditionnel dense, comme le Bugey, la vallée de l’Arve ou les villages de Haute-Savoie, où les constructions anciennes sont nombreuses, souvent bien conçues mais mal comprises par les algorithmes actuels.

(Sources : ministère de la Transition écologique, communiqué du 12 février 2024 / IGNES – Observatoire du confort d’été, 2023 / Sénat, rapport n°424, 2024 / La Maison écologique, 2024)
 

 

III. Un impact social et économique très lourd

Le DPE ne se contente pas de classer les logements. Dans sa version actuelle, il les disqualifie. Et cette disqualification entraîne des conséquences concrètes sur la valeur des biens, sur le comportement des bailleurs, et sur l’offre de logements accessibles en France, mais aussi à l’échelle locale.

 

Premiers touchés : les propriétaires modestes

Les premières victimes du durcissement des règles sont les petits bailleurs, souvent propriétaires de logements anciens ou hérités. Beaucoup n’ont ni les capacités financières ni l’accès aux aides suffisantes pour réaliser les travaux nécessaires. Pour eux, une note F ou G signifie non seulement une interdiction de louer, mais aussi une perte de revenu immédiate et une décote patrimoniale à long terme.

 

Une décote confirmée par les chiffres

Selon les notaires, un logement classé F ou G voit sa valeur baisser en moyenne de 10 à 20 %, et parfois jusqu’à +30 % dans certaines zones tendues. Cela creuse l’écart entre les ménages les mieux dotés pour financer la rénovation et les autres, creusant les inégalités sociales.

 

Une forte contraction de l’offre disponible

Avec l’exclusion depuis janvier 2025 des logements G du parc locatif, environ 600 000 logements ont déjà quitté le marché. En 2028, ce seront 1.2 million d’unités classées F qui seront frappées par la même interdiction. Ce retrait survient au moment où l’offre locative est sous tension : le nombre de permis de construire est en baisse, les loyers augmentent, et l’investissement privé se retire progressivement.

À Lyon, en région Auvergne–Rhône–Alpes, cette tension se matérialise par une chute de l’offre de petites surfaces abordables, notamment dans les arrondissements populaires et dans les villes périphériques comme Vénissieux ou Villeurbanne. La revente de biens mal classés devient plus longue et moins rentable pour les propriétaires, poussant certains à se tourner vers la location saisonnière plutôt que de conserver une mise en location classique.

 

Comportements évitants face à l’incertitude réglementaire

La complexité réglementaire croissante pousse certains bailleurs à vendre à bas prix, parfois à perte, pour éviter les contraintes du DPE. D’autres se repliant vers la location courte durée, échappant aux obligations. Certains investisseurs cessent d’acquérir dans les zones où le risque de non-conformité est élevé. Le DPE, censé dynamiser la transition énergétique, finit par instaurer un climat d’incertitude et d’inaction.

(Sources : Sénat, question écrite n°20434, février 2023 ; données Effy 2024 / Notaires de France, Observatoire immobilier, édition 2024)
 

 

IV. Un échec écologique annoncé

Le DPE s’inscrit dans une politique environnementale ambitieuse, destinée à faire du parc immobilier un levier central de la transition énergétique. Mais en dépit de cette intention louable, son application actuelle se heurte à un paradoxe écologique majeur : il ne produit pas les effets escomptés sur les émissions de CO₂, et induit même des comportements contre-productifs.

 

Un indicateur énergétique, pas environnemental

Le DPE repose sur une estimation de la consommation énergétique primaire, et non sur les émissions réelles de gaz à effet de serre. Deux logements ayant des consommations équivalentes peuvent donc afficher la même étiquette, même si l’un est chauffé au bois ou au gaz, et l’autre à l’électricité d’origine nucléaire.

Ce décalage entre consommation énergétique théorique et impact carbone réel fragilise la portée environnementale du dispositif. Il empêche les citoyens comme les collectivités de disposer d’une information claire et cohérente pour orienter leurs choix.

 

Le cas emblématique du chauffage électrique

En France, plus de 90 % de l’électricité est produite à partir de sources décarbonées (principalement nucléaire et hydraulique). Pourtant, le DPE applique à l’électricité un coefficient pénalisant de 2.3, contre seulement 1 pour le gaz naturel. Ce choix méthodologique, hérité d’un ancien mix européen, aboutit à une sous-évaluation systématique des logements chauffés à l’électricité.

Des logements performants, bien isolés, et sans impact climatique majeur, se retrouvent ainsi classés E ou F, tandis que des logements chauffés au gaz, plus émissifs, obtiennent une meilleure note. Cette distorsion dissuade l’usage de l’électricité dans l’habitat, alors même qu’elle constitue un pilier de la stratégie nationale de décarbonation.

 

Des travaux choisis pour la note, non pour l’environnement

Le DPE oriente souvent les rénovations non pas en fonction de leur efficacité réelle, mais en fonction de leur effet immédiat sur la note. Un changement de chaudière ou une isolation de combles peut suffire à gagner une classe, même si cela n’optimise pas les performances globales du logement.

Inversement, les rénovations globales, pourtant mieux adaptées (ventilation, traitement des ponts thermiques, rénovation de l’enveloppe), sont peu incitées. En favorisant des gestes techniques standardisés, le DPE alimente une logique de conformité qui ne garantit ni sobriété énergétique durable, ni baisse effective des émissions.

 

Des aides publiques mal calibrées

L’arsenal d’aides à la rénovation repose souvent sur la note DPE : MaPrimeRénov’, éco-PTZ, certificats d’économie d’énergie, etc. Mais cette logique exclut de fait certains profils :

  • les propriétaires de logements anciens, souvent mal classés malgré des qualités intrinsèques,

  • les ménages modestes n’ayant pas les moyens d’atteindre un saut de classe,

  • les projets de rénovation partielle ou progressive.

Cela crée un effet d’éviction, où ceux qui auraient le plus besoin d’un accompagnement sont paradoxalement ceux qui en bénéficient le moins.

 

Un outil qui démobilise

Plutôt que de déclencher des rénovations massives, le DPE actuel tend à démobiliser :

  • par sa complexité,

  • par la perception d’un système opaque et injuste,

  • par des résultats parfois contre-intuitifs ou contradictoires.

Nombreux sont les propriétaires qui reportent leurs travaux, ou qui retirent leurs biens du marché, aggravant la pénurie. D’autres réalisent des travaux peu pertinents, uniquement pour “faire remonter la note”, sans effet réel sur les consommations. Le dispositif, au lieu d’inciter à la transition, détériore la confiance dans l’écologie réglementaire.

 

Une fracture locale visible

Dans des territoires comme la Haute-Savoie ou l’Ain, cette logique est d’autant plus incomprise que les logements chauffés à l’électricité sont nombreux (zones rurales, montagnes, habitat diffus), et que l’origine de cette électricité est justement parmi les plus propres du mix énergétique français. Certains élus locaux, techniciens de collectivités ou acteurs du patrimoine dénoncent l’absurdité d’un système qui disqualifie des logements sobres, simplement en raison de leur vecteur énergétique.

(Sources : Conseil d’analyse économique, Focus n°105, 2024 / Sénat, rapport d’information sur le DPE, 2024 / UFC-Que Choisir, dossier spécial “Passoires énergétiques”, 2023)
 

 

V. Une grogne sociale qui monte

L’application actuelle du DPE, devenue contraignante et opposable, suscite un grognement social croissant, qui dépasse le seul secteur immobilier. Il cristallise un sentiment d’écologie technocratique, injuste et parfois hors sol.

 

Un rejet révélateur d’un malaise plus large

Ce mécontentement s’inscrit dans un climat où la population rejette les dispositifs environnementaux perçus comme imposés sans dialogue. L’exemple des ZFE illustre cette situation, où des restrictions de circulation sont perçues comme des sanctions, sans accompagnement réel. Avec le DPE, on retrouve le même schéma : un instrument uniforme, appliqué sans nuances tenant compte des différences de revenus, de contextes territoriaux ou de faisabilité technique. Résultat : une perte d’adhésion au projet écologique global.

 

Un ras-le-bol fiscal et réglementaire

Ce mécontentement s’exprime désormais dans les territoires comme un ras-le-bol fiscal déguisé, voire une colère silencieuse des "gueux". Alexandre Jardin et la sénatrice Laurence Muller-Bronn dénoncent le sentiment d’exclusion que ressentent certains citoyens, forcés d’investir dans des travaux qu’ils jugent démesurés ou techniquement inadaptés.

« Exclure du marché plusieurs millions de logements est une folie dans la crise actuelle », écrivent Laurence Muller-Bronn et Alain Houpert, en appelant à un DPE informatif et non contraignant. Ils alertent sur un risque : en maintenant cette approche rigide, l’État pourrait amorcer un rejet global de l’écologie réglementaire, non pas sur le fond, mais par rejet de la forme.

 

Un impact réel sur les marchés locaux

En région Auvergne‑Rhône‑Alpes, la fragilité du marché se traduit par :

  • des durées de vente qui s’allongent pour les biens mal classés,

  • une décote plus marquée sur certaines communes périphériques de Lyon, où la pression sur les prix reste forte.

  • un déplacement des investisseurs vers des formules de courte durée, afin d’échapper aux contraintes du DPE.

Ces dynamiques reflètent une fracture sociale et territoriale : le DPE, en excluant certains biens, tend à uniformiser des territoires en pleine mutation, mais sans en comprendre les spécificités.

(Sources : Valeurs actuelles, “Le DPE, un suicide français ?”, avril 2025 / Le Progrès, “Faibles effets du DPE sur les prix de vente”, décembre 2022)

 

 

Sortir de l’impasse

Le Diagnostic de Performance Énergétique occupe aujourd’hui une place centrale dans la régulation du marché immobilier français. Il conditionne la vente, la location, l’accès aux aides, la fiscalité, la perception de la valeur. Initialement conçu comme un outil de transparence, d’incitation et d’orientation, il est devenu, en moins de vingt ans, un instrument de disqualification.

Or un diagnostic qui repose sur une méthode contestée, qui pénalise les énergies les plus propres, qui sous-évalue les qualités du bâti ancien et qui contribue à exclure des centaines de milliers de logements du marché ne peut pas remplir sa mission écologique. Un outil injuste et mal calibré ne produit pas de progrès. Il produit de la défiance, de la résistance, et parfois du retrait.

C’est une réalité que les acteurs locaux constatent au quotidien, notamment dans des territoires comme la Haute-Savoie ou l’Ain, où la tension sur le logement est forte, où le bâti ancien est nombreux, et où l’électricité reste la solution la plus accessible dans les zones de montagne ou les hameaux peu denses. La rigidité du DPE y est d’autant plus mal comprise qu’elle entre en contradiction avec des politiques locales de préservation du patrimoine et de sobriété énergétique.

Mais faut-il pour autant l’abandonner ? Non. Car un bon diagnostic énergétique, rigoureux, compréhensible, fiable, reste un outil essentiel. Il peut éclairer les décisions des particuliers, structurer les politiques publiques, favoriser les rénovations pertinentes, et faire progresser collectivement la qualité du parc immobilier.

À condition de revenir à ses fondements : informer, inciter, conseiller, accompagner. Pas interdire, sanctionner ou exclure. Le DPE ne doit pas être une barrière. Il doit redevenir une boussole.

Suivant
Suivant

Rénover un bien en montagne en 2025 : quelles aides, quels coûts, quels enjeux en Haute-Savoie ?